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Actualités culturelles | Le 22 mars 2023, par Luc Grampivf. Temps de lecture : onze minutes.


« Arts de la parole »

Lancement du Centre des arts de la parole à Aubervilliers : « resacraliser » le langage

Inauguration d’une structure culturelle

Le 13 mars dernier à Aubervilliers, se tenait la soirée d’inauguration du Centre des arts de la parole (Cap), après plus de deux ans d’élaboration. Lancé par le dramaturge et metteur en scène Gérald Garruti, le Cap a pour vocation de valoriser l’échange et la « parole juste », à travers une démarche de création artistique et de transmission auprès de publics divers, dans les registres des sept « arts de la parole » : théâtre, récit, poésie, éloquence, conférence, dialogue et débat. Un projet pluriel qui s’est brillamment illustré lors de cette soirée d’ouverture, organisée au théâtre du Point Fort, et qui rassemblait en un spectacle hybride des intervenants du monde du théâtre et du cinéma (Jacques Martial, Odile Sankara, Yoshi Oïda), des philosophes (Cynthia Fleury) et des personnalités politiques.

(Image de l'article n°273 : )
© Sambuc éditeur, 2024

Sous le chapiteau du théâtre du Point Fort, installé sur la friche du fort d’Aubervilliers, la salle est comble, l’ambiance est tamisée et chaleureuse. Gérald Garruti prend la parole pour quelques mots d’introduction, avant de laisser le micro à une quinzaine d’intervenants. Des personnalités, des artistes ou des acteurs de la vie citoyenne, venus de métiers et d’institutions diverses – théâtre de la Cité internationale, délégation de la langue française et de la francophonie du ministère de la Culture, médias, maisons d’édition... – qui, toutes, illustrent une des facettes de la langue et de la parole : celle du théâtre, d’abord, dont est issu Gérald Garruti, metteur en scène et longtemps dramaturge au Théâtre national populaire (TNP, 2006-2011) ; celles du slam, de la musique ou du conte, et de toutes les formes de création faisant appel au verbe ; mais aussi celles de la philosophie, de l’action sociale, de la politique locale ; en un mot, la part intellectuelle et citoyenne de la parole.

Le lieu de l’inauguration n’est pas anodin : la création du Centre des arts de la parole (Cap) s’est faite en partenariat étroit avec la ville d’Aubervilliers, dont la maire Karine Franclet est présente ce soir-là. La ville de Seine-Saint-Denis donne en effet tout son sens à la démarche du Cap : avec 108 nationalités et un grand nombre de langues parlées, et sa position en périphérie de la capitale, Aubervilliers cristallise un grand nombre de problématiques citoyennes liées de près à la parole et à l’échange.

Car c’est là l’originalité de la démarche du Cap : les sept « arts de la parole » portés par le Centre concentrent à la fois les champs de la création et de l’art – le théâtre, le récit, la poésie –, mais aussi de la pensée – l’éloquence et la conférence – et de l’échange citoyen – dialogue et débat.

La soirée d’inauguration au Fort d’Aubervilliers

Outre des artistes, dont l’acteur Pierre Richard en visioconférence, l’actrice Odile Sankara, ou le comédien et metteur en scène japonais Yoshi Oïda, la soirée du 13 mars regroupait des personnalités du monde politique et citoyen, dont le délégué général à la langue française et la francophonie, Paul de Sinety, ainsi que la philosophe et psychanalyste Cynthia Fleury, membre du Comité consultatif national d’éthique.

La participation d’acteurs culturels et de philosophes a été l’occasion d’affirmer les principaux thèmes et champs explorés par le Centre des arts de la parole, depuis le rôle de l’art et de la littérature, dans sa faculté de prendre distance aux « habitudes de langages » et aux automatismes, jusqu’aux enjeux de société. Dans un échange entre Gérald Garruti et Cynthia Fleury, le directeur du Cap évoquait la réduction de l’éloquence à la parole « performante », et du débat ou de l’échange à « la destruction de l’autre ». La philosophe, auteure entre autres de l’ouvrage Ci-gît l’amer (Gallimard, 2020) sur la notion de ressentiment, mais aussi d’une Métaphysique de l’imagination (éd. D’Écarts, 2000), a évoqué, en contrepoint de la « performance » et de la recherche d’efficacité, la dimension performative de la langue, représentée notamment par le « défi » (qui initie un possible, une possibilité en l’énonçant), et insisté sur le lien et la relation particulière à l’autre introduite par la parole, à travers le rôle central du temps (le pari, la promesse, le « temps de parole »…).

La lecture ou la psalmodie de textes sur la langue et l’oralité par les acteurs et poètes présents à la soirée a également rendu sensibles les enjeux auxquels souhaite s’attacher le Cap dans ses actions et sa réflexion : récit de soi, exclusion et inclusion par la parole et par les mots, création poétique. L’acteur Yoshi Oïda a ainsi évoqué, dans une intervention émouvante, un épisode de sa formation d’acteur où l’invention poétique d’une « langue » imaginaire a permis l’échange et le jeu entre des comédiens de différentes nationalités.

L’événement a été l’occasion de témoigner de la vocation du Cap et de son originalité : réunir, à travers sept « arts de la parole », les champs de la création, de la pensée et de l’échange citoyen.

Resacraliser la parole

D’où part cette démarche singulière ? Selon son initiateur Gérald Garruti, qui dirige le Cap et s’est entouré d’une vingtaine de membres, avant tout d’un constat d’échec démocratique et citoyen : la prise de parole n’a jamais été autant présente, démultipliée – dans l’espace d’internet notamment – et en même temps inaudible, et ignorée. Un des actes fondateurs du Centre, le manifeste de G. Garruti Il faut voir comme on se parle (Actes Sud, 2023), le résume bien : « Tout le monde s’exprime. Mais est-ce qu’on s’écoute ? » Et c’est sur cette écoute, cette présence de l’autre à travers la parole, que se focalise le projet artistique et citoyen du Cap.

Il s’agit en effet de participer à élaborer un « espace commun », espace de rencontres – avec entre autres, comme présupposé, le fait d’admettre « que tout n’est pas relatif et dépendant simplement du jugement ». Le terrain commun de ce que le directeur du Cap appelle la « parole juste » marque précisément une opposition à ce qu’on appelle aujourd’hui l’ère de « post-vérité », où l’opinion et les croyances de chacun prévalent sur les faits.

C’est aussi une façon de resacraliser la parole, en s’appuyant sur des démarches concrètes ; et en premier lieu, celles de l’art. D’où un dialogue nécessaire entre la parole citoyenne et les champs de la création.

À ce titre, le Centre des arts de la parole regroupe des professionnels et des acteurs venus de différents univers. Dans le champ de l’art, bien sûr, des comédiens et des dramaturges (Hakim Bah, Odile Sankara), des rappeurs (Sofiane Zermanis), des poètes (Jean-Pierre Siméon) ; mais aussi, dans le champ de la pensée, des philosophes (Cynthia Fleury, Frédéric Gros, Raymond Geuss) et des acteurs culturels – avec entre autres Laurence Engel, présidente de la Bibliothèque nationale de France, et Matthieu Potte-Bonneville, directeur du développement culturel du Centre Pompidou.

Projet collectif, le Cap s’est aussi associé à un certain nombre de partenaires institutionnels, dont la Cité internationale de la langue française (Villers-Cotterêts), le Samu social, ou encore le Centre national du livre (CNL). Il a par ailleurs des points d’ancrage (comme le Fort d’Aubervilliers), mais pas de lieu propre : ses actions se tiendront donc sur l’ensemble du territoire, à travers l’ensemble des acteurs locaux, comme les théâtres et les lieux culturels, ou les collectivités – ainsi de la mairie d’Aubervilliers, avec qui les partenariats ont déjà débuté.

En s’incarnant avant tout comme un « moment », le Centre des arts de la parole cherche ainsi à créer « une dynamique de fédération », jouant le rôle d’entremetteur entre le plus grand nombre possible de collectifs et d’organisations.

De la création à la formation

Resacraliser, ou réenchanter la parole, passe par l’art, donc, mais aussi l’éducation, ou plus largement la transmission, les ateliers, le partage de techniques. Comme dans un des premiers partenariats créés par le Cap, le programme « Voix au chapitre » construit avec le Samu social. Durant une année, un centre social a accueil cet atelier réalisé avec des sans-abri, dans le but de faire écrire un récit de leur propre vie à des personnes marginalisées. C’est Ismaël Jude, philosophe et art-thérapeute, qui a conduit l’atelier, avec pour conclusion des séances de lecture et d’enregistrement des textes écrits.

C’est un point fort du Centre : celui de cibler à chaque action un public particulier, spécifique, tout en déployant l’ensemble des « arts » liés au langage et à la parole. Une des créations du Cap qui représente sans doute le mieux cette intersection des arts sont les « Odyssées de la parole », dont la première prendra place à la Cité internationale de la langue française, installée au château de Villers-Cotterêts (Aisne) et dont l’inauguration aura lieu en juin prochain.

Un autre champ d’action important – outre la publication et la création de médias, dont la revue Champ de parole – est la formation, la transmission de savoirs et de savoir-faire liés à la parole. Un volet « majeur » pour le Cap, notamment à destination des jeunes (collèges, lycées), et qui est actuellement en élaboration.


Luc Grampivf


En savoir plus

Ressource : Site web du Centre des Arts de la Parole (Cap) (centredesartsdelaparole.fr)

Ressource : Page consacrée au Cap sur le site du Théâtre de la Cité internationale (theatredelacite.com)


Entités nommées fréquentes : Cap, Aubervilliers, Centre, Gérald Garruti, Cynthia Fleury, Yoshi Oïda, Odile Sankara, Cité.


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