« Humanités numériques »

Les innovations récompensées lors des Trophées du Digital Learning 2023

Formation digitale et innovation

Le 23 mars 2023, lors du salon européen Solutions RH-eLearning Expo, les Trophées du Digital Learning 2023 ont été décernés à 11 projets et stratégies de formation, distingués pour leur pertinence ou leur innovation. Suite à cette remise de prix, la tenue d’une table ronde au cours de la même journée a été l’occasion de tirer un bilan général des évolutions de la formation digitale et de ses tendances récentes.

Lancés en 2019 par le cabinet d’études Féfaur, les Trophées du Digital Learning récompensent chaque année, selon diverses catégories, les meilleurs projets réalisés dans le domaine de la formation professionnelle via les nouveaux outils du digital.

Le jury de cette édition 2023, qui a vu le dépôt de 86 dossiers, regroupait des professionnels de la formation dirigeant ce département au sein de divers groupes industriels (Renault, SNCF, Safran...), ou de grands prestataires de service (Capgemini, Féfaur). Le 23 mars 2023, le salon européen Solutions RH-eLearning Expo a accueilli dans la matinée une remise des onze trophées de cette cinquième édition.

Dans l’après-midi ayant suivi l’annonce des lauréats, une table ronde a été organisée en prolongement de cet événement, afin de revenir sur les tendances du secteur de la formation digitale, en présentant les principales innovations portées par les projets candidats, mais en revenant aussi sur les principales difficultés de ces projets, et les éventuelles sources d’échec dans la mise en place d’une formation via l’outil numérique.

En ouverture de la table ronde, Michel Diaz (Féfaur), qui animait la rencontre, a commencé par revenir sur les enjeux généraux d’une solution de digital learning.

Les enjeux du digital learning

La mise en place d’une solution de formation digitale est presque toujours issue d’une coproduction entre un client (chez qui la solution de formation est implémentée) et une entreprise prestataire. Après l’élaboration du projet et lorsque la solution est prête à être livrée, le déploiement suit généralement trois étapes essentielles : en premier lieu débute une phase de teasing, qui consiste à éveiller la curiosité des équipes ou des collaborateurs concernés, afin de préparer leur implication dans la formation. Suit le jour du déploiement, qui est important pour la visibilité et la bonne compréhension de la solution proposée au sein de l’entreprise, et la participation des salariés. Enfin, une étape de fidélisation est nécessaire : il existe en effet une concurrence entre les dispositifs de formation disponibles, et les collaborateurs peuvent se tourner vers une alternative externe, ce qui se fait au détriment de l’unité et de la cohérence de la formation des équipes et pose un réel problème de management. À ce titre, les portails dédiés à la formation jouent un rôle essentiel de visibilité, en concentrant dans un même espace l’accès à la solution.

Autre point soulevé en préambule : l’importance d’impliquer le formateur dans le processus de digital learning, en particulier en lui donnant une vue claire sur l’effet de la formation ou de l’outil sur le personnel formé. Ce point paraît crucial pour valoriser l’utilité de l’outil digital et favoriser son utilisation optimale par le formateur.

Virginie Rochard a pour sa part insisté sur l’importance de la narration (ou story-telling) associée au déploiement de la solution dans l’entreprise, mais aussi à la présence de cette mise en récit au sein même des contenus de la formation. Elle a notamment évoqué l’exemple de l’enseigne Monoprix (projet My learning), lauréate des Trophées 2023, dont la stratégie de formation d’hôtes et d’hôtesses de caisse reposait sur une mise en histoire immersive.

BTP, médecine, ville de Paris : les lauréats 2023

Parmi les premiers grands projets de formation numérique évoqués lors de cette rencontre, la solution de réalité virtuelle développée à destination des éboueurs de Paris (prestataire WiXar), et portant sur les consignes de sécurité liées à la collecte des déchets sur la voie publique, présentait la particularité de s’adresser à un public très divers, d’un niveau de diplôme peu homogène, et d’agents parfois réticent aux dispositifs de formation classiques. D’un autre côté, la nécessité de la formation se fondait sur un contexte à risques (notamment celui des usagers de trottinettes et le danger de collision) auquel doivent faire face les agents de la ville de Paris.

Dans ce cadre, la réalité virtuelle (virtual reality, VR) était perçue comme un levier d’implication très direct. Le dispositif de formation intégrait ainsi une phase d’observation et d’implication, suivie d’une deuxième phase de mise en action (via des « tentatives »), puis d’un test (validation). Un dispositif similaire a été mis en place à destination des adjoints techniques de la petite enfance (ATEPE) concernant les techniques et les normes d’hygiène pour le lavage du linge.

Autre secteur présent lors des Trophées : le BTP et les enjeux de l’économie d’énergie dans le bâtiment. L’Agence Qualité Construction (AQC) et le Comité de Concertation et de Coordination de l’Apprentissage du Bâtiment et des Travaux publics (CCCA-BTP), associés au ministère de l’Éducation nationale, ont porté une candidature pour leur projet de Formation aux économies d’énergie dans le bâtiment, ou FEEBAT.

Mise en place pour les années 2022-2025, cette convention vise à accompagner la montée en compétences des professionnels en activité de la filière bâtiment dans le domaine de la transition énergétique, à travers la formation initiale ou continue, et l’intégration du programme dans l’écosystème national. C’est la solution de digital learning mise en place dans le cadre des offres de formation initiale qui a reçu la nomination pour les Trophées 2023, dans la catégorie de l’apprentissage hybride (blended learning) et de l’accompagnement. Une des innovations récompensées portait sur la cohérence pédagogique, assurée par la création de bibliothèques associées à la formation et d’une pédagogie spécifiquement construite sur ces ressources. La granularité (division des modules en sous-formats) permet ici de proposer un parcours complet à travers plusieurs formats courts, associés chacun à des ressources spécifiques. Ce découpage favorise une acquisition et un accompagnement ajustés à l’apprenant, tout en assurant la cohérence et le suivi de l’ensemble.

La formation déployée dans le cadre de la convention FEEBAT porte également une dimension d’apprentissage collaboratif (collaborative learning), fondée sur la participation du savoir propre des apprenants et sur l’interaction.

Parmi les autres lauréats, ont été notamment évoqués lors de la table ronde l’entreprise Medtronic (catégorie Évaluation et mise en pratique) pour la formation en situation de travail d’une force de vente à distance, via la modélisation du contexte pour l’évaluation des compétences ; ainsi que le fabricant de pneus Bridgestone, pour la formation d’opérateurs de ligne en conditions réelles à travers la réalité virtuelle, garantissant un haut niveau de sécurité et ne nécessitant par d’immobilisation des machines lors de la formation.

Points de vigilance dans le déploiement d’une formation numérique

La table ronde a été également l’occasion de revenir sur les points de vigilance à considérer lors de la préparation d’un projet de formation digitale. Michel Diaz remarque ainsi la permanence de trois principales causes d’échecs dans les projets portés par les entreprises. En premier lieu, les fournisseurs de solution tendent souvent à sous-estimer la charge de travail incombant au client pour le déploiement des modules de formation. Ce point peut occasionner l’abandon du déploiement de projets innovants et bien conçus, mais ne disposant pas des ressources nécessaires pour leur mise en application. En deuxième lieu, des difficultés peuvent naître d’une mauvaise distribution des rôles et des compétences pour l’élaboration ou la conduite du projet ; ce problème de « distribution » de la charge de travail, mais aussi d’attentes respectives du client et du prestataire, fait courir le risque d’aboutir à des offres de formation inadéquates, ou à des difficultés dans la mise en pratique.

Plus généralement, un troisième défaut important est selon Michel Diaz l’absence de stratégie d’ensemble associée au digital learning, qui s’accompagnerait entre autres d’une perspective spécifique à l’entreprise (le « pourquoi » et le « comment »), d’un plan d’action concret, etc.

De côté des prestataires, une erreur pourrait être aussi de construire systématiquement le projet à partir d’un concept éprouvé (proof of concept), dans le but de minimiser les risques. Particulièrement importante dans l’industrie et pour l’ingénierie, cette approche ne doit toutefois pas dégager de la nécessité de penser le projet dans son contexte, au risque de manquer des points essentiels ou de sous-estimer des difficultés contingentes, comme les ressources et la charge de travail du client lors du déploiement.

Réalité virtuelle, création de contenus et collaborative learning : les tendances de la formation digitale

Parmi les tendances générales du premier trimestre 2023 remarquées au fil des candidatures de cette édition, on note bien évidemment l’arrivée en force de la réalité virtuelle (VR), qui offre de nombreux avantages tout particulièrement dans le secteur industriel ou dans les contextes à risques.

Un point majeur est aussi le développement important des approches internes en matière de création de contenus de formation. Cette production est notamment réalisée par le biais de services d’agrégation et de vérification, qui permettent de construire des bases de connaissances spécifiques à partir de sources multiples, dont les différentes librairies disponibles mais aussi à partir de l’open data et du web (données massives), et en consolidant la base construite à l’aide de systèmes d’intelligence artificielle (IA). Cela permet d’ajuster au mieux les contenus aux besoins, et d’hybrider davantage les formations grâce à des supports annexes à destination des apprenants (apprentissage asynchrone).

Enfin, la montée en puissance du collaborative learning conduit à l’élaboration de contenus souvent plus efficaces et mieux adaptés au contexte de l’entreprise, grâce à la participation des apprenants. Cette implication est aussi une opportunité pour l’entreprise de développer le sentiment d’appartenance et l’identité de marque auprès des collaborateurs. Le collaboratif apparaît ainsi comme une forme nouvelle et essentielle du digital learning, dans laquelle le rôle de l’apprenant est davantage pris en compte. Cette perspective nouvelle porte également un défi : celui de trouver les moyens de mieux faire transiter le savoir entre les différents usagers d’une formation, et favoriser l’apprentissage entre pairs.

Raphaël Deuff

En savoir plus

Ressource : Série « Humanités numériques » (sambuc-editeur.fr)

Entités nommées fréquentes : Féfaur, Paris, Trophées.